La chèvre et le diable

« -Argh… Je crois que j’ai pris la poussière…
-Wouah ! Mais t’es encore vivant ? Sérieux, j’ai failli avoir une crise cardiaque !
-Hein ? Comment ça ? Et pourquoi c’est toujours toi que je croise comme ça ?
-Bah c’est qu’à ce niveau, on n’appelle pas ça de l’hibernation ! Et si je suis là, c’est parce qu’il faut bien quelqu’un pour entretenir la maison.
-Ah. Ben je voyageais en pensée. Mais nous sommes en quelle année pour que je te fasse un tel effet ?
-En 2021.
-AH. »

Bonjour à tous et bienvenue dans mes cours. Je reviens vers vous après être sorti de ma torpeur de… plus d’un an ? Bon sang ! J’étais assailli par un couple de démons aux terribles pouvoirs (dont je vous invite à prendre connaissance ici) mais j’ai été sauvé par un couple de personnes adorables dont je vous reparlerai un peu plus loin. Et je ne suis pas revenu les mains vides !

Vous devez savoir que, outre toutes les légendes et mythologies que nous avons pu déjà étudier, j’ai une accointance particulière avec le folklore, les histoires du peuple. Et j’aime beaucoup mon village ainsi que ma région, qui sont particulièrement blindés en histoires de ce genre. Mais comment vous inciter à venir visiter le Monastier-sur-Gazeille, ce petit village du Velay ? Je pourrais vous parler de ses très nombreux parcours de randonnée, de la beauté des paysages, des monuments classés, de la nourriture exquise, du festival de musique qui se tient au début du mois d’août… Malheureusement, je ne suis pas un guide touristique et cela n’aurait rien à faire ici. Par contre, les légendes qui pullulent dans le coin sont tout-à-fait à propos. C’est pourquoi je ne vais pas vous présenter une créature en particulier aujourd’hui, mais vous conter un petit bout de folklore qui vient de chez moi et qui fait directement écho à l’histoire de mon village.

Laissez-moi vous poser une question : si je vous proposais un combat entre une chèvre et un diable, sur qui parieriez-vous ? Sur le diable assurément, non ? Là vous devriez voir ma mine circonspecte et vous écrier : « Quoi ? Comment est-ce possible qu’il faille parier sur la chèvre ? Tu nous mènes en bateau Prof ! » Vous mener en bateau ? Soit. Laissez-vous guider.

C’est l’histoire d’un Mange-Chèvre (un habitant du Monastier) qui rencontre un diable, par-là à travers la campagne. Ce diable lui propose d’exaucer un vœu. Le pégu, comme c’est un pégu, accepte volontiers et demande donc au diable d’être riche et de ne jamais plus connaître la pauvreté. « Très bien, répondit le diable. En revanche, tu ne devras plus jamais faire de bonne action. Aide une seule personne et je viendrai te goumer. » Le paysan accepta les termes de ce contrat et continua sa vie tranquillement. Le diable respecta sa part du marché. Le bonhomme ne connaissait plus la pauvreté, vivait aisément. Et lui-même respectait sa parole et n’aidait plus personne. Mais un jour vint où un cheval s’échappa et notre pégu (que nous allons appeler Jacques dorénavant) s’étant trouvé là, rattrapa l’animal par réflexe. « Mince, me voici dans de beaux draps ! J’ai aidé quelqu’un ! » C’est pourquoi il demanda au propriétaire du cheval un paiement en échange de ce service. Des dents grincèrent, des négociations furent faites mais finalement Jacques s’en retrouva à se voir payer une chèvre consacrée par le curé. Mais le diable n’était pas dupe. Il savait fort bien que l’acte était désintéressé. Il se présenta devant Jacques qui s’en rentrait chez lui avec sa chèvre : « Dis donc mon Jacot, tu ne me l’aurais pas faite à l’envers par hasard ? Je t’avais prévenu que j’allais te goumer ! » Mais avant même que le diable ne finisse sa phrase, notre petit Jacot tenta un record du monde de sprint, laissant là le diable et la biquette. Amusé, le diable proposa à la chèvre d’aller courir après Jacques tous les deux, parce qu’ils sont cousins après tout. Mais la bique ne l’entendait pas de cette oreille : « Wesh, t’as cru j’étais ta pote ? » (Oui, les chèvres de cette époque étaient des racailles et ces propos sont rapportés à la lettre par mes soins.) Le diable n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il lui arrivait qu’il se prit une grande encornée dans la tête (la fameuse technique du pied-bouche n’existait pas encore) et se vit fuir malgré lui. Mais la biquette n’en avait pas fini avec lui et le poursuivit longtemps, faisant tâter de ses cornes au derrière du diable. N’en pouvant plus, le diable ne trouva d’autre moyen de s’échapper que de disparaître en un nuage de fumée nauséabonde.

Depuis ce jour, les diables qui parcourent le Velay ne sont plus aussi familiers avec les chèvres (surtout celles du Monastier) et les chèvres exhalent l’odeur caractéristique qu’on leur connaît.

Voilà pour aujourd’hui. Des histoires de ce genre, il en existe plein et pas seulement dans mon petit bout d’Auvergne, fort heureusement. Celle-ci en particulier m’a redonné l’envie d’écrire. Et je dois sa découverte à un couple de personnes formidables. Des passionnés d’art et d’Histoire (ou devrais-je dire d’histoires) qui tiennent le Musée des croyances populaires au Monastier-sur-Gazeille, musée que j’ai pu visiter récemment. Cet article a pu être rédigé grâce à eux, et c’est pourquoi je me permets de faire leur publicité ici. Comme je vous le disais plus haut, j’aime mon village et j’aime à le faire connaître. Alors bien sûr, venez si vous aimez la montagne, les bâtiments historiques, la musique, la bonne bouffe, etc., mais si vous êtes lecteurs de ce blog, c’est que vous aimez les histoires et légendes. C’est pourquoi je vous invite très sincèrement à visiter le musée où vous serez accueillis chaleureusement par Patrice et Natacha, des passionnés à la conversation passionnante et au talent prodigieux (car les illustrations, maquettes et dioramas que vous trouverez dans le musée sont tous de leur propre confection) et qui vont glaner toutes ces histoires du peuple directement auprès du peuple, chez nos anciens qui sont à eux seuls une encyclopédie vivante du fantastique.

Sur ces mots, je vous donne mon salut. Bisou.

/Le Prof

PS : retrouvez le musée des croyances populaires également sur Facebook en cliquant ici.

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